Les Echos de la Boboblogie (EB) : Kathy Toto, votre nom est célèbre dans toute la boboblogie pour les études fameuses que vous consacrez, de temps à autre, à d'importants phénomènes contemporains. Je vous suis donc reconnaissant d'avoir bien voulu accepter de nous accorder cet entretien.
Kathy Toto (KT) : C'est avec plaisir, Aldor, que j'ai accepté votre invitation.
EB : Kathy, pourriez-vous rappeler à nos lecteurs ce qu'est un (ou une) sensologue.
KT : Bien sûr, Aldor. Eh bien ! un sensologue est une personne dont le métier est de donner un sens aux choses et aux propos...
EB : .... Heu, votre langue a probablement fourché. Vous vouliez certainement dire : "dont le métier est de dire le sens des choses et des propos" ?
KT : Non, non , non ! Justement non. Dire le sens des choses est le travail du sémiologue ; le sensologue, lui, donne (ou éventuellement, prête) leur sens aux choses et aux paroles... et tout particulièrement à ceux et à celles qui n'en ont pas : c'est la difficulté de la tâche mais aussi sa grandeur. Et j'ajoute, car cela intéresse directement vos lecteurs, que c'est dans ce secteur très spécifique que la Boboblogie est réputée.
EB : Mais, comment faites-vous pour donner du sens aux choses qui n'en ont pas ?
KT : Ca n'est pas toujours facile mais il y a des trucs, du métier...
EB : Imaginez que je vous dise : "Allons nous baigner". Quel sens pouvez-vous bien donner à une phrase aussi banale ?
KT : Ce cas est particulièrement facile, Aldor ; on peut lui donner plein de sens, qu'on peut décrire (mais je vous fais grâce des détails) à coups de formules comme énoncés multiples, patati-patata, polysémie, patata, i-médiation, patati, équivocité, patata, etc. Et j'en passe.
EB : Il y avait tout ça, dans cette proposition ?
KT : En fait, Aldor, je ne le sais pas. Mais nul, probablement, ne le sait. Et ce qu'on peut en revanche dire sans crainte de se tromper, c'est que ce que j'ai dit, moi, a du sens.
EB : Mais si ce sens est sans lien avec celui que je voulais donner à ma phrase?...
KT : ... C'est sans grande importance. Vous savez, Aldor, les personnes et les entreprises qui viennent me voir ont rarement des idées à exprimer. L'important, pour elles, n'est donc pas qu'on leur explique ce qu'elles voulaient dire car, sauf exception, elles ne veulent rien dire, mais qu'on leur dise ce qu'elles auraient pu vouloir dire, si elles avaient eu des idées, et qu'on leur dise pour longtemps (le sens est alors donné) ou pour une durée plus courte, le temps d'une campagne de promotion, par exemple (le sens est alors simplement loué ou prêté, à un tarif moindre, bien sûr).
EB : Mais n'est-ce pas un peu un travail de charlatan ?
KT : Charlatan, charlatan... tout dépend ce que vous mettez derrière cette appellation : dans les temps anciens, les gens naissaient, vivaient, mourraient, et finalement se contentaient de cela, de la fierté d'assumer, comme des millions d'autres êtres humains, le poids de la condition humaine. Aujourd'hui, il veulent beaucoup plus et en particulier être reconnus comme individus... individualisés. Ils veulent que leur vie ait un sens, que leur action ait un sens, que leur métier ait un sens, que leur désirs aient un sens, que leurs jeux aient un sens... que leur blog même ait un sens, et c'est tout dire.
Vous devinez, dans ce contexte, la masse d'appels au secours auxquels mes collègues et moi même devons répondre. Ce que les gens attendent de nous, ça n'est évidemment pas la vérité, mais qu'on leur permette d'exister, à leurs propres yeux, en prêtant, et parfois en donnant, sens, à leurs faits et gestes et à leurs paroles. Et le miracle, parfois se produit : nous avons prêté un sens, et ce sens une fois donné, c'est comme si la vérité se dévoilait et comme si la personne, dépouillée enfin des couches et des couches d'habitudes et de paresse, naissait à elle-même, au travers du sens que nous avons soudain donné à son existence.
EB : Il y a donc quelques liens entre la sensologie et la maïeutique ?
KT : Ne me faites pas dire, Aldor, ce que je ne dis pas. Je ne prétends pas être une Socrate, même au petit pied. Il n'en demeure pas moins que si la quête de sens est souvent vaine, elle ne l'est pas toujours, et qu'il est beau, alors, d'aider une pensée à se révéler à elle-même.
EB : Il me reste à vous remercier, Kathy, pour cet intéressant entretien.
KT : Je vous en prie, Aldor, et merci à vous.
Propos recueillis le 18 févier 2007
3 commentaires:
Merci à tous deux pour cette formidable interview. Quelle téléportation magistrale au centre d'un art si rare ! Quel éclairage lumineux de cette science si nécessaire à une époque qui se nourrit de vent ! D'ailleurs, vous soulignez à juste titre une parenté avec la boboblogie elle-même. Donner du sens à ce qui n'a plus de direction, quelle noble tâche en effet. Ce qui, soit dit en passant par la passante que je suis sur le pont de la vie, nous ramène à la baignade. Car le splash et les cercles concentriques qu'il dessine à cause et malgré les protagonistes d'un scénario qui les dépasse, n'est-il pas à l'image du sens qui de nouveau se diffuse ?
Mais il me semble que vous n'avez pas abordé la question essentielle de la virtualité. Car ne court-on pas le risque de se noyer dans une flaque d'eau dont la réalité reste à prouver ? Ou de chercher des olives dans ses chaussures, selon l'expression convenue ? Je ne doute pas qu' Oustaline de Baumanière saura prochainement nous éclairer sur ce dernier point, lors d'un autre de vos entretiens passionnants.
Salutations respectueuses...
Merci, anonyme passante, pour cet aimable commentaire. Je dois avouer n'y avoir pas compris grand-chose mais je ne doute pas que notre amie Kathy, armée de sa science, saura le décrypter et, à défaut, lui donner un sens qui me convienne.
Cordialement,
Mais passera-t-elle par là ?
;-)
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